Page:Bloy - Le Désespéré.djvu/74

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Il l’avait trouvée une nuit, dans la rue, désolée et sans asile. Son histoire, infiniment vulgaire, était la navrante histoire de cent mille autres. Séduite par un drôle sans visage que d’inscrutables espaces avaient presque aussitôt englouti, chassée de sa pudibonde famille et ballottée comme une épave, elle était tombée sous la domination absolue d’un de ces sinistres voyous naufrageurs, moitié souteneurs et moitié mouchards, qui monopolisent à leur profit la camelote de l’innocence.

Forcée, depuis des mois, de transmuer sa chair en victuaille de luxure, sous la menace quotidienne d’épouvantables volées, la malheureuse, décidément inapte, mourante d’horreur et n’osant plus réintégrer l’horrible caverne, accepta sans hésitation les offres de service de Marchenoir, exceptionnellement galionné de quelques pièces de cent sous.

Incapable d’abuser d’une pareille détresse et rempli d’évangéliques intentions, celui-ci dormit sur une chaise plusieurs nuits de suite, cachant dans sa chambre et dans son lit cette désirable créature qui tremblait à la seule pensée de sortir. Il fallut devenir amoureux et le devenir passionnément. Le fragile chrétien interrompit, à la fin, ses dormitations cathédrales et une grossesse imprévue récompensa bientôt sa ferveur.

Il gagnait alors un peu d’argent, aux Archives de l’État, comme harponneur de documents onctueux, pour le compte d’un fabricant d’huile de baleine historique de l’Institut. Cette énorme aggravation de sa misère ne l’épouvanta pas. Praticien du concubinage héroïque, la circonstance d’un enfant à naî-