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Il avait terriblement besoin d’une impression qui le protégeât contre les dévouements de sa pensée, et le message de son ami lui fut, de toutes manières, une délivrance.

Son père était mort sans le reconnaître, ou, ce qui revenait au même, sans témoigner, par aucun signe, qu’il le reconnût. Le silence de plusieurs années de séparation et de mécontentement n’avait pas été interrompu, même à ce suprême instant. Les deux dernières heures de l’agonie, il les avait passées auprès du moribond, agenouillé, pénitent, plein de prières, portant son cœur, — comme un calice, — dans ses mains tremblantes, pour qu’une parole, un regard ou seulement un geste de pardon y tombât. Le mystère de la Mort était entré, sans prendre conseil, et s’était assis entre eux sur son trône d’énigmes…

Cette reine de Saba qui pérambule sans cesse avec ses effrayants trésors de devinailles, Marchenoir la connaissait bien ! Il l’avait appelée en de néfastes heures, et elle était venue frapper à côté de lui, — tellement près qu’il en avait adoré le souffle et bu la sueur. Il lui en était resté comme un goût de pourriture et des crevasses au cœur !…

Mais, cette fois, il lui semblait avoir été mieux atteint. Il se découvrait une palpitation filiale ignorée et cet arrachement nouveau, après tant d’autres, lui parut une lésion énorme, hors de proportion avec le reliquat d’énergie qu’on lui laissait pour le supporter.

Un moment, il oublia tout, les deux êtres dont il était aimé, les vastes projets de son esprit, le cadavre même qui bleuissait sous son regard, une gla-