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de Dulaurier et une autre de son ami le bibliographe.

Il ouvrit aussitôt cette dernière :

« Mon affligé, Voici cinq cents francs que j’ai pu réunir en tricotant activement de mes deux jambes de derrière depuis ton départ, et que je t’adresse avec une joie infinie. Pas de remerciements, surtout, n’est-ce pas, tu sais si je les méprise ?

« Cher cœur souffrant, ne te laisse pas dévorer par ton chagrin. Tu as ton livre à faire. Tu as de grandes choses à dire à certaines âmes, à qui personne ne parle plus. Relève-toi. Je n’ai pas d’autre parole de consolation à t’offrir. Ton infortuné père, que tu n’as pas plus tué que je n’ai tué le mien, a beaucoup plus besoin, à cette heure, de tes suffrages actifs que de tes larmes. Tu dois, ce me semble, comprendre ce langage.

« Tu ne m’as pas écrit, — naturellement ! — et je n’y comptais guère, malgré ta promesse. Mais, en revanche, tu as écrit à Dulaurier pour lui demander de l’argent, comme si je n’existais pas, moi ! Je l’ai rencontré aujourd’hui même, alors que j’étais en course précisément pour t’en procurer, et il m’a tout appris.

« Tu es un traître, mon pauvre Caïn, et un imbécile par-dessus le marché. Comment pouvais-tu espérer que ce fantoche de lettres, cet Harpagon-Dandy, se porterait volontiers à te secourir ? Est-ce que, par hasard, tu tomberais dans le gâtisme définitif de supposer que cette reliure, soi-disant pensante, de tous les lieux communs et de toutes les inanités clichées, puisse être capable d’entrevoir seulement l’immense honneur que tu lui fais en