Page:Bloy - Le Désespéré.djvu/59

Cette page a été validée par deux contributeurs.

lui le torrent des livres lancés sur le monde par la sottise ou la vanité contemporaines.

Providentiellement, il y avait menace de déluge, vers le temps où il commença de s’intéresser à ce vagabond, qui avait l’air de marcher dans une gloire de misères et dont la physionomie douloureuse lui parut extraordinaire.

Un jour donc, ému de compassion, il le fit dîner et l’emmena chez lui, pour qu’il le débarrassât, disait-il, de ce monceau de brochures dont la vente seule pouvait être utile. C’est à dater de ce bienheureux instant que Marchenoir s’élança dans la carrière enviée d’ami du critique, la seule que, durant une assez longue période, on l’ait vu exercer avec avantage.

Mais, surtout, il eut un ami, enfin ! « Un ami fidèle, medicamentum vitæ et immortalitatis, » prononce mystérieusement le Saint Livre, — comme si la véritable amitié pesait les milliards de mondes qu’il faut pour contre-balancer la miette de pain transsubstantiée que ces expressions rappellent !


XVI


La femme n’apparut dans la vie de Marchenoir qu’à la fin de cette première période, c’est-à-dire après la guerre et après cette décisive secousse d’âme qui l’avait subitement restitué au sentiment religieux dont il portait en lui, dès son premier jour, les prédéterminations ignorées.