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le désespéré

philosophique, étant déjà sur le point de prononcer de stercoraires vœux, — qu’ayant parcouru, pour la première fois, le Nouveau Testament, durant l’oisive chaufferie de pieds d’une nuit de grand’garde, en 1870, il eut l’aperception immédiate, foudroyante, d’une Révélation divine.

Il s’est toujours rappelé le trouble immense, l’ahurissement surhumain de cette minute aux ailes d’aigle qui l’enleva dans un ouragan d’ininterprétables délices. Il s’était dressé dans le sentiment nouveau d’une force inconnue, artères battantes et cœur en flammes ; ivre de certitude, secoué par le roulis d’une espérance mêlée d’angoisse, prêt à toutes les acceptations du martyre. Car cette âme divinatrice et synthétiquement ardente, bondissant au-dessus des intermédiaires leçons de la foi, s’était emportée, du premier coup, au décisif concept de l’immolation.

Il lui sembla sortir d’un de ces rares songes, aux déterminables contours, qui feraient croire à quelque vision sensible de la Conscience, réflexement manifestée dans l’extra-lucide intussusception des dormants. Il avait cru s’apparaître à lui-même, inimaginablement transmué pour se ressembler davantage, mais horrible, ruisselant d’abominations et triste par-delà toute hyperbole.

Cette impression s’ajustait assez aux effrayantes scrutations inspirées de certains mystiques, — à propos de l’Enfer et de la paralysante affreuseté de l’Irrévocable, — dont la lecture déjà ancienne avait laissé sur sa mémoire comme des brûlures d’enthousiasme et des ecchymoses de poésie…

Un double abîme s’ouvrit en cet être, à dater de ce prodigieux instant. Abîme de désir et de fureur que