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le désespéré

la colique à un éventrable despote. En ces rencontres, le cannibale sortait du rêveur, instantanément. Les yeux noyés et d’une tendresse presque enfantine, — seuls capables de tempérer l’habituelle dureté de l’ensemble, — changeaient alors de couleur et devenaient noirs !…

Des années d’humiliations et de supplices tamisèrent peu à peu sur la friche de ce visage la fertilisante poudrette de quelques inévitables accommodements. Le teint, déjà bilieux, prit cette lividité brûlante d’un chrétien mal lapidé, de la première heure, qui serait devenu sacristain dans les catacombes.

Il avait le don des larmes, signe de prédestination, disent les Mystiques. Ces larmes furent l’allégresse cachée, l’occulte trésor d’une des existences les plus dénuées et les plus tragiques de ce siècle.

Quand il avait avalé une de ces couleuvres à dimensions de boa devin, qui furent si souvent son exclusive nourriture, il répandait autour de lui, dans sa chambre solitaire, avec des prudences d’avare, cette gemme liquide qu’il n’aurait pas échangée contre les consolations desséchantes d’une plus solide richesse.

Car il avait l’étrangeté de chérir sa peine, cet incunable de mélancolie, qui était tombé dans son berceau comme dans un Barâthre et que sa mère stupéfaite regardait pleurer, des journées entières, sur ses genoux, — silencieusement ! Il eut, tout enfant, la concupiscence de la Douleur et la convoitise d’un paradis de tortures, à la façon de sainte Madeleine de Pazzy. Cela ne résultait ni de l’éducation, ni du milieu, ni d’aucune lésion mentale, ainsi que d’oraculaires idiots entreprirent de l’expliquer. Cela ne