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quelquefois sans nom ni mesure, qu’un pauvre artiste sans salaire a pu endurer pour leur verser cette ivresse. Les chrétiens riches, qui admirent ma Sainte Radegonde, par exemple, ne se doutent pas que ce livre fut écrit au chevet d’une mourante, dans une chambre sans feu, par un mendiant famélique et désolé qui n’a pas touché un sou de droits d’auteur !… Seigneur Jésus, ayez pitié des lampes misérables qui se consument devant votre douloureuse Face !

« Mais l’horreur qui a dépassé toutes les autres, c’est la dernière scène du drame. L’enlèvement de notre Véronique, le voyage en fiacre et l’internement à Sainte-Anne. La malheureuse, que toute ma force ne suffisait pas à contenir, poussait des cris dont mes os se souviendront, je crois, au fond de la tombe !

« Laissons cela. Les forces, d’ailleurs, m’abandonnent…

« J’ai passé ma vie à demander deux choses. La Gloire de Dieu ou la Mort. C’est la mort qui vient. Bénie soit-elle ! il se peut que la gloire marche derrière et que mon dilemme ait été insensé… Je vais être jugé tout à l’heure, et non par les hommes. Mes violences écrites, qu’on m’a tant reprochées, seront pesées dans une équitable balance avec mes facultés naturelles et les profonds désirs de mon cœur. J’ai, du moins ceci, d’avoir éperdument convoité la Justice et j’espère obtenir le rassasiement qui nous est assuré par la Parole sainte.

« Toi, mon bien-aimé, veille sur la malheureuse Véronique, après que tu m’auras mis en terre… Pauvre fille !… Chers êtres dévoués, si compatissants et si doux à mon âme triste ! je vous ai chéris l’un et l’autre, par-dessus toutes les créatures, et j’eusse