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me satisfaire… Quelques-uns me refusaient, et, alors, mon ami, quel puits de honte !

« Je n’ai rien pu tirer, par exemple, de ce répugnant industriel que j’ai si jobardement appelé naguère, le gentilhomme cabaretier, lequel a fait sa fortune aux dépens des artistes pauvres dont il achalandait sa maison, et à qui j’ai dédié, — en me submergeant d’opprobre, — l’un de mes livres, dans une accès de gratitude imbécile pour cet éditeur providentiel, dont je ne voyais pas la hideuse exploitation. Il m’en coûta cher, tu le sais trop, de me laisser engluer par ce Mascarille, par ce bas laquais, que je vis, un jour, cracher rageusement dans un bock que l’absence de son garçon le condamnait à servir lui-même, — sans que je fusse éclairé par cet incident ! Il me devait pourtant bien quelque chose, celui-là, pour avoir fait, gratuitement, pendant dix-huit mois, le journal annexé à sa pompe à bière !

« Dulaurier, devant qui je me suis humilié autant que se puisse humilier un homme, m’a congédié en me déclarant, les larmes aux yeux, qu’à la vérité, il avait sur lui quelques milliers de francs, mais que cette somme étant, par grand malheur, en billets à une échéance lointaine, il ne pouvait en monnayer la moindre partie, sans subir un onéreux escompte, dont il ne doutait pas que la seule pensée dût me paraître insupportable.

« Le docteur Des Bois trouva le moyen d’être plus atroce encore. Depuis quatre ou cinq heures, je courais en vain par les rues comblées de neige, dans un état moral à faire pleurer, — ayant laissé Véronique brisée d’une récente crise, sans feu et sans nourriture, exténué moi-même par la faim, la nuit étant