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des épines, des clous, des larmes et des agonies. Pendant des générations, ils ont chuchoté d’éperdues prières à l’oreille de l’Hostie divine, et, — tout à coup, — on leur dévoile, d’un jet de science électrique, ce gibet poudreux où la dent des bêtes a dévoré leur Rédempteur… Zut ! alors, ils vont s’amuser !

Manger de l’argent ! Qui donc a remarqué l’énormité symbolique de cette locution familière ? L’argent ne représente-t-il pas la vie des pauvres qui meurent de n’en pas avoir ? La parole humaine est plus profonde qu’on ne l’imagine. Ce mot est étrangement suggestif de l’idée d’anthropophagie, et il n’est pas tout à fait impossible, en suivant cette contingente idée, de se représenter un lieu de plaisir, comme un étal de boucherie ou un restaurant-bouillon, où se débiterait, par portions, la chair succulente des gueux. Les gourmets, par exemple, choisiraient dans la culotte, et les ménagères économes utiliseraient jusqu’aux abatis, tandis que des viveurs délabrés d’une noce récente, se contenteraient d’un modeste consommé de leurs frères déshérités. On est étonné du tangible corps que prend un tel rêve, quand on interroge ce propos banal.

Tout riche qui ne se considère pas comme lintendant et le domestique du Pauvre, est le plus infâme des voleurs et le plus lâche des fratricides. Tel est l’esprit du christianisme et la lettre même de l’Évangile. Évidence naturelle qui peut, à la rigueur, se passer de la sanction du surnaturel chrétien.

C’est heureux pour les détrousseurs et les assassins, que l’animal soi-disant pensant soit si réfractaire au syllogisme parfait ! Il y a diablement long-