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l’écorchement, ni au pal, ni même à la guillotine. Nulle disposition légale ne précisa jamais qu’on dût les pendre, les émasculer, leur arracher les ongles, leur crever les yeux, leur entonner du plomb fondu, les exposer, enduits de mélasse, au soleil de la canicule, ou simplement, les traîner, dépouillés de leur peau, dans un champ de luzerne fraîchement fauché… Aucun de ces charmants supplices ne leur fut littéralement appliqué, en vertu d’aucune explicite loi.

Seulement, le génie tourmenteur, qui s’est appelé la Force sociale, a su rassembler pour eux, en une gerbe unique de tribulation souveraine, toute cette flore éparse des pénalités criminelles. On les a sereinement, tacitement, excommuniés de la vie et on en a fait des réprouvés. Tout homme du monde, — qu’il le sache ou qu’il l’ignore, — porte en soi le mépris absolu de la Pauvreté, et tel est le profond secret de l’Honneur, qui est la pierre d’angle des oligarchies.

Recevoir à sa table un voleur, un meurtrier ou un cabotin, est chose plausible et recommandée, — si leurs industries prospèrent. Les muqueuses de la considération la plus délicate n’en sauraient souffrir. Il est même démontré qu’une certaine virginité se récupère au contact des empoisonneurs d’enfants, — aussitôt qu’ils sont gorgés d’or.

Les plus liliales innocences offrent, en secret, la rosée de leurs jeunes vœux au rutilant Minotaure, et les mères les plus vertueuses pleurent de douces larmes à la pensée qu’un jour, peut-être, cet accapareur millionnaire, qui a ruiné cent familles, aura la bonté de s’employer à l’éventrement conjugal de leur « chère enfant ».