Page:Bloy - Le Désespéré.djvu/406

Cette page a été validée par deux contributeurs.

il était l’unique héritier, et Leverdier serait à son aise un jour. Mais elle n’entendait pas lui envoyer d’argent pour le faire subsister à Paris, lui déclarant, sans cesse, qu’elle tenait à l’avoir auprès d’elle pour lui fermer les yeux, et, qu’en Bourgogne, il vivrait plantureusement, dans la maison qui devrait lui appartenir après sa mort, comme s’il en était déjà le maître absolu.

Leverdier calcula qu’il serait ainsi plus utile à Marchenoir et qu’il pourrait aisément lui envoyer tous les mois un secours d’argent qui l’empêcherait toujours bien de crever de faim.

Lorsque ce dernier apprit l’héroïque décision de son mamelouck, elle était irrévocable. Leverdier avait tout vendu et déposait sur la table du malheureux les quelques centaines de francs qu’il avait recueillis.

Il n’y eut pas d’explosion. Marchenoir baissa la tête à la vue de cet argent et deux larmes lentes, — issues du puits le plus intime de ses douleurs, — coulèrent sur ses joues blêmes et déjà creusées.

Leverdier, ému, s’approcha et le serrant dans ses bras, avec tendresse :

— Mon cher pauvre, lui dit-il, ne t’afflige pas, si tu veux que je m’éloigne en paix. C’est tout juste si j’ai la force de me séparer de Véronique et de toi… Je ne me suis défait d’aucun objet qui me fût réellement précieux, et quand cela serait, qu’importe ? Ignores-tu que ta vie m’est plus chère que n’importe quel bibelot qui soit au monde ? D’ailleurs, n’avons-nous pas, depuis longtemps, une destinée commune ? Je veux te sauver, afin de me sauver moi-même, entends-tu ? Il faut que tu vives et c’était le seul