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le désespéré

Lamartinienne tant admirée ! Ils ne s’en souviennent plus du tout. Mais ils se souviennent de la tangible terre où ils sont forcés de vivre, au sein de l’ordure humaine, dans une irrémédiable privation de la vue de Dieu, — quel que soit leur concept de cette Entité substantielle, — avec un désir enragé de s’en repaître et de s’en soûler à toute heure !…

À cette profondeur de spirituelle infortune, il n’y a plus qu’une seule torture, en qui toutes les autres se sont résorbées pour lui donner une épouvantable énergie, je veux dire : le besoin de la Justice, nourriture infiniment absente !

Parbleu ! ils savent ce que disent les chrétiens, ils le savent même supérieurement. Mais il faut une foi de tous les diables et ce n’est pas la vue des chrétiens modernes qui la leur donnerait ! Alors, ils produisent la littérature du désespoir, que de sentencieux imbéciles peuvent croire une chose très simple, mais qui est en réalité, une sorte de mystère… annonciateur d’on ne sait quoi. Ce qui est certain, c’est que toute pensée vigoureuse est maintenant poussée, emportée, balayée dans cette direction, aspirée et avalée par ce Maëlstrom !

Serait-ce que nous touchons enfin à quelque Solution divine dont le voisinage prodigieux affolerait la boussole humaine ?…

L’un des signes les moins douteux de cet acculement des âmes modernes à l’extrémité de tout, c’est la récente intrusion en France d’un monstre de livre, presque inconnu encore, quoique publié en Belgique depuis dix ans : les Chants de Maldoror, par le comte de Lautréamont (?), œuvre tout à fait sans analogue et probablement appelée à retentir. L’au-