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aucune dévote ne ressemblait, paraissait avoir reçu, en même temps que le don de la perpétuelle prière, la faculté surhumaine de tout ramener à une vision objective si parfaitement simple, que le synthétique Marchenoir en était confondu. Souvent, elle le suggérait, à son insu, en le remplissant de lumière, sans se douter du prodige de son inconsciente pédagogie.

Un jour que le symboliste scripturaire lisait en sa présence, en les interprétant, les premiers chapitres de la Genèse, elle l’interrompit à l’endroit de la fameuse justification d’Ève déchue : « Le serpent m’a trompée », et lui dit : — Retournez cela, mon ami, vous aurez la consommation de toute justice. De manière ou d’autre, il faudra que le serpent réponde, à son tour : C’est la Femme qui m’a trompé

Marchenoir avait été sur le point de se prosterner d’admiration devant cette ingénuité divine qui raturait la sagesse de quarante docteurs plus ou moins subtils, en forçant, d’un seul mot naïf, toutes les énergies de l’intelligence à se résorber dans le rudimentaire concept du Talion.

La merveille s’était renouvelée un assez un grand nombre de fois, pour qu’il regardât cette fille à peu près comme une prophétesse, — d’autant plus incontestable qu’elle s’ignorait elle-même, s’estimant trop honorée de recevoir les leçons de certains apôtres qui eussent dû l’écouter avec tremblement.

Toutefois, en ce qui le concernait personnellement, le confident ébloui gardait une réserve austère, qui le rendait sourd-muet aux ouvertures amphibologiques semblables à celle qui venait de lui être faite sous la forme captieuse d’une interrogation pleine