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et fatigué d’une longue veille, est, alors, sans énergie pour y résister. Dans le cas de Marchenoir, ce très simple phénomène se compliquait de prédispositions passionnelles à faire sombrer quarante volontés du plus haut bord. Tout à coup, une furie de concupiscence sauta sur lui, comme eût fait un tigre.

Abattu, roulé, dilacéré, dévoré dans le même instant, son libre arbitre, atténué depuis tant de jours, disparut enfin. Étranglé par le spasme de l’hystérie, agité de frisson et claquant des dents, il se leva, mit sa tête hors de la fenêtre, exhala, dans l’air du matin, le hennissement affreux des érotomanes et, — silencieusement, — avec la circonspection miraculeuse d’un aliéné, il ouvrit sa porte sans le plus léger grincement, glissa comme un fantôme à travers la salle à manger, et parvint à la porte de Véronique.

Une ligne de clarté jaune passait au-dessous et un rayon plus lumineux filait par le trou de la serrure. La pénitente veillait encore. Il s’arrêta et prit à deux mains sa tête en feu, se demandant ce qu’il voulait, ce qu’il venait faire… lorsqu’il entendit un gémissement et n’hésita plus.

Abandonnant toute précaution, il entra et vit celle qu’il convoitait d’un si flagellant désir, le très « dur fléau de son âme », à genoux, les yeux fixés sur le crucifix, les bras croisés sur son sein, le visage gonflé, ruisselant et, chose navrante, le parquet, devant elle, mouillé de ses larmes. Elle avait dû pleurer ainsi toute la nuit.

L’effet de cette vision fut de transformer immédiatement la fureur de Marchenoir en une compassion déchirante. — Je suis son bourreau ! pensa-t-il. Il