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L’apparente inutilité de son martyre l’écrasa. Elle vit que tout était perdu, cette fois, et eut le pressentiment d’une catastrophe prochaine.

Seulement, elle désira d’un désir tout-puissant d’en être la seule victime, pour que sa disparition délivrât celui qui l’avait elle-même délivrée. Elle se mit à convoiter le fruit savoureux de sa propre mort, comme la grande Ève convoita le fruit de la mort universelle.

Ses continuelles oraisons acquirent une intensité inouïe et s’emportèrent jusqu’au délire. Elle se tordit le cœur à deux mains pour en exprimer sa vie. À l’exemple de sainte Thérèse, elle se construisit « un château de sept étages », non plus, comme la réformatrice du Carmel, pour monter de l’initial détachement de ce monde à la parfaite consommation de la paix divine, mais pour transférer son âme navrée dans quelque définitive prison, lumineuse ou sombre, qui ne fût pas, du moins, ce tabernacle charnel si vainement défiguré, — en passant par les successives geôles du renoncement suprême, — et tel fut le donjon de sa silencieuse agonie.

Ce fut un de ces drames noirs et profonds, cachés sous le petit manteau bleu des sourires de la charité, — comme l’ébène horrible de l’espace est masqué de cet azur qui est l’aliment de la vie des hommes. Ces deux singulières victimes d’un Idéal prorogé au-delà des temps, évitaient soigneusement toute parole qui pût éclairer l’un ou l’autre, et cette prudence n’était vaine qu’à l’égard de Véronique, — car Marchenoir, bien assuré que son amie ne partageait pas son trouble, à lui, était loin, cependant, de conjecturer le trouble sublime dont la physionomie imperturbée de