Page:Bloy - Le Désespéré.djvu/361

Cette page a été validée par deux contributeurs.

nouveau livre qu’il préparait ne les indignerait pas moins. En supposant qu’il trouvât un éditeur, — ce qui paraissait peu probable, — quel moyen aurait son œuvre d’arriver jusqu’au public et d’obtenir ce demi-succès de vente si nécessaire à la subsistance de l’auteur ? Décidément, l’avenir était horrible.

Marchenoir travaillait à corps perdu, écartant, comme il pouvait, cette vision de désespoir. Mais elle revenait, quand même, s’imposant despotiquement au malheureux homme. Alors, la plume tombait de sa main et, quoi qu’il pût faire, il lui fallait repasser toute sa vie et reboire tous les souvenirs amers. C’était une mélancolie de damné. Dans ces moments, Véronique s’approchait et, s’inclinant sur l’épaule de ce porte-croix chargé d’un si dur fardeau, s’efforçait de le ranimer. — Pauvre chère âme, disait-elle, que ne puis-je prendre sur moi toute votre peine ! et, souvent, ces deux êtres s’attendrissaient l’un sur l’autre et pleuraient ensemble.

Or, cela même était un autre danger et une source de douleurs nouvelles, — incomparables. Marchenoir se sentait plus amoureux que jamais. Avec une terreur immense, il se voyait de plus en plus captif et chargé de chaînes. Il avait beau regarder la mutilée, dans l’espérance de recueillir l’horreur dont elle avait prétendu masquer son visage, cette impression salutaire ne venait pas. Il ne trouvait en elle qu’un objet de pitiés amollissantes, qui s’achevaient en de suggestives incitations. Ce rêveur, chaste autant qu’un moine, brûlait comme un sarment…

Tel était le résultat définitif, l’aboutissement suprême de tant d’efforts, de si complètes victoires antérieures sur sa chair et sur son esprit. À quarante