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ce diable d’homme se mit à parler, en commençant, d’un ton si particulièrement sonore et grave qu’il obtint le silence.

— Il me serait extrêmement facile, messieurs, de prendre ici un objet quelconque, — ne fût-ce que M. Champignolle, — et de m’en servir pour vous rosser tous. Quelques-uns d’entre vous qui me connaissent, — appuya-t-il, en regardant Dulaurier que son dandysme clouait au rivage, — savent que j’en suis capable, et je n’essaierai pas de vous dissimuler que j’en suis fort tenté, depuis un instant. Cet exercice me soulagerait et rendrait ma digestion plus active. Mais,… à quoi bon ? Je vais partir simplement et vous pourrez, alors, entrelacer vos esprits fraternels dans la paix parfaite. Je ne suis pas des vôtres et je l’ai senti dès mon entrée. Je suis une façon d’insensé, rêvant la Beauté et d’impossibles justices. Vous rêvez de jouir, vous autres, et voilà pourquoi il n’y a pas moyen de s’entendre.

Seulement, prenez garde. La salauderie n’est pas un refuge éternel, et je vois une gueule énorme qui monte à votre horizon. On souffre beaucoup, je vous assure, dans le monde cultivé par vous. On est sur le point d’en avoir diablement assez, et vous pourriez récolter de sacrées surprises… Dieu me préserve d’être tenté de vous expliquer la sueur de prostitution qui vous rend fétides ! La force des choses vous a remplis d’un pouvoir qu’aucun monarque, avant ce siècle, n’avait exercé, puisque vous gouvernez les intelligences et que vous possédez le secret de faire avaler des pierres aux infortunés qui sanglotent pour avoir du pain.

Vous avez prostitué le Verbe, en exaltant l’égoïsme