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déjà. L’immobilité silencieuse de ceux qui l’écoutaient devint une stupeur. Aucune plainte ne s’éleva de ce tas d’hommes bafoués, houspillés, piétinés, rossés avec une férocité inouïe et une autorité tortionnaire de vendeur d’esclaves. À la réserve de deux ou trois, qui l’avaient entendu déjà, les assistants ne s’étaient jamais avisés de soupçonner une chose semblable et ne pensèrent pas à s’en indigner. Beauvivier, lui-même, qui avait pourtant lu l’article, mais qui ne le reconnaissait plus, débité de cette façon, eut quelque peine à revenir de son ahurissement.

— Ma foi, messieurs, dit-il, parfaitement sincère, avouez que ce que nous venons d’entendre est confondant. Nous nous devons à nous-mêmes de faire tout crouler ici, et il battit des mains. Les autres, décollés de leur étonnement et entraînés par l’exemple du patron, applaudirent à provoquer une émeute.

— Mais,… monsieur Marchenoir, continua le colonel du Basile, — s’adressant à son invité qui venait de se rasseoir après une inclination de tête imperceptible, — je ne vous connaissais pas cette force tragique, qui m’étonne encore plus, je vous assure, que votre talent d’écrivain, dont je fais, cependant, vous ne l’ignorez pas, la plus haute estime. C’est à se demander pourquoi vous n’êtes pas au théâtre. Vous en deviendriez le maître et le Dieu… N’est-ce pas votre avis, Beauclerc ?

Le grand Sentencier n’eut pas le temps de rédiger son dispositif. Ces dernières paroles venaient de procurer à Marchenoir la sensation d’un formidable soufflet. La bonne foi évidente, en ce moment, de Beauvivier, faisait enfin ce que son insidieuse ma-