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Tinville, non sans quelque hauteur, vous rejetez absolument la coutume du duel ?

— Absolument. Voudriez-vous m’apprendre, monsieur, comment je pourrais ne pas la rejeter ? Sans parler d’une certaine consigne religieuse qui serait peu comprise, et que je n’aurais probablement pas le courage de vous expliquer, il y a ceci qu’on oublie trop : Le duel est une prouesse de gentilshommes et nous sommes des goujats. Des goujats sublimes, peut-être, mais enfin, d’irrémédiables goujats. À l’exception de quelques rares personnages, semblables à vous, — dont les ancêtres escaladèrent autrefois les murs de Jérusalem ou d’Antioche, — on ne voit pas que nous différions sensiblement de ces croquants, à qui l’on donnait deux triques énormes et le champ clos d’un large fossé, pour vider leurs querelles. Je vous avoue que le ridicule d’une épée dans la main de gens de notre sorte a toujours été terrassant pour moi. Il serait donc parfaitement inutile de me proposer un duel. Si c’est là votre pensée, elle est admirablement judicieuse et fait le plus grand honneur à votre pénétration. Je veux même vous déclarer qu’à mes yeux, le véritable outrage commencerait précisément à cet instant-là. J’estimerais qu’on me regarde comme un farceur de catholique ou comme un imbécile, et mon courroux éclaterait, à la minute, d’une manière tout à fait surprenante.

— Mais, cependant, monsieur le réactionnaire, brailla aussitôt Rieupeyroux, dans une hilarante tonique de pur gascon, qui faillit déchirer en deux le velarium de la gravité générale, vous êtes assez violent, il me semble, quand vous attaquez vos con-