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le désespéré

s’en tenir à la fosse commune quand on ne peut faire les frais d’une sépulture moins modeste.

« Je sais que je vous afflige en parlant ainsi, mais ma conscience aussi bien que ma raison me dicte ce langage et, comme catholique, vous n’avez pas le droit de repousser une exhortation à l’humilité chrétienne.

« — Pourquoi, me disait le docteur, Marchenoir ne resterait-il pas à Périgueux ? Il y serait assurément beaucoup mieux qu’à Paris où il est aussi mal que possible. Il y trouverait infailliblement des amis de sa famille, d’anciens condisciples qui seront heureux de lui procurer des moyens d’existence…

« Je trouve qu’il a raison et je ne puis m’empêcher de vous donner le même avis. Prenez-le en bonne part, comme venant d’une âme unie de tristesse à la vôtre et qui a renoncé, depuis longtemps, à toute illusion.

« La littérature vous est interdite. Vous avez du talent sans doute, un incontestable talent, mais c’est pour vous une non-valeur, un champ stérile. Vous ne pouvez vous plier à aucune consigne de journal, et vous êtes sans ressources pour subsister en faisant des livres. Pour vivre de sa plume, il faut une certaine largeur d’humanité, une acceptation des formes à la mode et des préjugés reçus dont vous êtes malheureusement incapable. La vie est plate, mon cher Marchenoir, il faut s’y résigner. Vous vous êtes cru appelé à faire la justice et tout le monde vous a abandonné, parce qu’au fond, vous étiez injuste et sans charité.

« Croyez-moi, renoncez à la littérature et faites courageusement le premier métier venu. Vous êtes