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lui, Champignolle, avait procuré la mort tragique, en le faisant tomber dans le guet-apens d’un duel, et, même, il avait été sur le point de prendre congé, sous un prétexte quelconque, en voyant entrer le désespéré. Mais on eût trop compris le vrai motif de cette départie, et la politique le contraignit à rester. Quant à Marchenoir, il n’eut pas trop de toute son énergie pour se tenir tranquille, en attendant une occasion meilleure. Quelle danse, alors !

Champignolle est un personnage des plus remarquables, en ce sens qu’il a l’air d’un parfait scélérat, au milieu d’une bande de coupe-jarrets que sa présence fait ressembler à d’inoffensifs bourgeois. À l’exception d’un acte courageux ou spirituel, on peut dire qu’il est absolument capable de tout. Son effronterie est sans exemple et sans précédent. Il est le seul homme de lettres ayant osé publier un livre plagié de tout le monde, à peu près sans exception, et fabriqué de coupures dérobées aux livres les plus connus, sans autre changement que l’indispensable soudure d’adaptation à son sujet. On s’étonne même que cette audace ait eu des bornes et qu’il n’ait pas donné, comme de lui, le Lac de Lamartine ou l’une des Diaboliques de Barbey d’Aurevilly. Mais il est facile de concevoir les résultats esthétiques d’une telle méthode.

La personne d’un chenapan de cet acabit ne serait pas tolérée, un quart de minute, dans une société de voleurs de grand chemin, où subsisterait quelque regain de virile solidarité. La société des lettres l’accepte, néanmoins, avec honneur, et se serre, volontiers, pour le mettre à l’aise. Il est offert en exemple