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Les deux amis se séparèrent à la porte de Beauvivier.

Dès son entrée dans le vaste salon, où les nombreux convives s’empilaient, Marchenoir fut dégrisé de son rêve, instantanément. Il sentit, comme en une bouffée de dégoût, l’incompatibilité sans remède, infinie, de tout son être avec ces êtres nécessairement hostiles à lui, et dont quelques-uns étaient si bas qu’on pouvait s’étonner de les voir admis, même dans ce lieu de prostitution.

Ils représentaient, cependant, toute la presse dite littéraire, et même un peu la littérature, et, certes, il n’y avait pas dans le nombre, un individu qui eût fait un geste pour le secourir, s’il avait été en danger, — un seul geste, — ou qui, même, eût hésité à l’y enfoncer davantage, en protestant de l’impartialité du coup de sabot qu’il lui eût appliqué sur le péricrâne. Pas une femme, d’ailleurs, ce qui donnait à pressentir qu’on allait être un peu goujat. Il se vit épouvantablement seul et détesté.

Beauvivier se précipita. — Mon cher monsieur Marchenoir, dit-il, vous étiez attendu avec la plus dévorante impatience. Messieurs, voici notre nouveau leader.

Néanmoins, il n’usa pas son précieux pharynx en présentations superflues. Les bonzes de la publicité s’inclinèrent comme des épis, et l’infortuné dut subir le contact de plusieurs mains sordides qui se tendirent vers lui. Tout à coup, il se trouva flanqué du docteur Des Bois et de Dulaurier, en qui renaissait une estime sans bornes pour ce ressuscité d’entre les morts. Le lycanthrope, déjà énervé, n’entendit qu’à peine les gazouillements du premier, mais le