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au loin, déchiqueté par les mauvais aigles et les bons corbeaux, sur son gibet solitaire !…

En vertu d’une certaine conformité mystérieuse qui unissait ces deux êtres, Véronique était devenue aussi extraordinaire par son attention que Marchenoir par ses paroles. De ses grands yeux en rognure de septième ciel, deux larmes pesantes avaient jailli, roulant avec lenteur sur ses joues pâles ; ses mains, appuyées d’abord sur la table, avaient fini par se joindre et maintenant, elle avait l’air d’implorer silencieusement l’esprit invisible qui lui semblait, sans aucun doute, inspirer son maître.

Sa physionomie était si étonnante que Leverdier, déjà très frappé lui-même des derniers mots qu’il venait d’entendre, ne put s’empêcher de la faire remarquer à Marchenoir. — Regarde, murmura-t-il.

L’interrompu reploya les ailes de son lyrisme et la regarda.

— Qu’avez-vous, ma Véronique ? lui demanda-t-il, assez ému.

— Mais…, je n’ai rien, mon ami, répondit-elle, en tressaillant. Je vous écoute, sans trop vous comprendre. Vos paroles sont vraies, je pense, mais si terribles ! En vérité, j’ai cru, un instant, qu’un autre parlait à votre place. Je ne reconnaissais plus votre voix ni même vos pensées.

— Est-ce donc là ce qui vous faisait pleurer, mon attristée ? Toi-même, Georges, tu sembles troublé. Est-il possible que j’aie dit des choses si étranges ?

— Il est vrai, dit celui-ci, que ta dernière phrase sur l’Église m’a un peu surpris, peut-être par vertu réflexe de l’émotion de notre amie. Mais ta voix,