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l’air de les supposer véritablement présents, investie de joie et de certitude, ruisselante de plus de larmes que l’hydraulique de tous les sentiments ordinaires n’eût été capable d’en obtenir, et il semblait, à la fin, que ces indigents simulacres s’imprégnassent de ce double courant de beauté physique et morale qui venait confluer sur eux !

Son ménage, d’ailleurs, en souffrait si peu qu’il eût été difficile de trouver une maison mieux tenue, une plus stricte propreté, une économie plus exacte, une cuisine, enfin, plus ingénieuse à multiplier les patriarcales délices du ragoût de mouton et du pot-au-feu. On aurait dit qu’elle n’avait seulement pas besoin d’agir. Elle passait comme en rêve, effleurant les choses et les forçant à se nettoyer, à s’accommoder, à se cuire elles-mêmes, par l’irrésistible vertu de son seul regard.

Dominatrice charmante et imperturbable, que la seule tristesse de son ami pouvait troubler et que n’eussent déconcertée ni les déluges, ni les incendies, ni les tremblements, ni les dislocations d’univers, puisqu’elle portait en elle une permanente catastrophe d’amour à mettre au défi tous ces accidents ! Marchenoir était tout pour elle. Il planait dans son ciel et s’asseyait sur les circulaires horizons, il piétinait l’océan, la montagne, la nue, les abîmes, la création entière, — seul visible de toutes parts et triomphant ! Son sauveur !… Le pauvre diable était son Sauveur, ainsi qu’elle le nommait parfois, avec une simplicité d’enthousiasme que beaucoup de théologiens eussent réprouvée comme un blasphème. Les deux sentiments, naturel et surnaturel, s’étaient, en elle, si parfaitement amalga-