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dane en chocolat. Cette image, d’une naïveté contestable, suffisait, telle quelle, aux appétits d’antiquaire de son possesseur.

Les meubles, en vitupérable noyer et même en sapin, acquis pièce à pièce et d’occasion dans d’infimes ventes, eussent indigné un concierge du faubourg Saint-Antoine. À cet égard, le misanthrope était absolu. — Il n’y a, disait-il, que deux sortes de tables sur lesquelles un artiste puisse écrire : une table de cinquante mille francs ou une table de cinquante sous. Mais, s’il était devenu millionnaire, il aurait probablement gardé la seconde, par peur de se rendre imbécile, aux dépens des pauvres, en achetant la première.

Les livres eux-mêmes étaient en petit nombre : une gigantesque Bible synoptique, la plus coûteuse de ses folies, quelques tomes dépareillés de la patrologie de l’abbé Migne, une dizaine d’elzévirs grecs ou latins, un peu d’histoire, un peu de roman moderne et une cavalerie de dictionnaires en diverses langues, tout au plus une centaine de volumes. Quand il manquait d’un livre, il le prenait chez son ami, mieux approvisionné, ou s’en allait à la Bibliothèque.

Seule, la chambre de Véronique avait un semblant de ce confort de vingtième ordre, dont s’arrangent encore les trois ou quatre douzaines des braves ouvrières favorisées du ciel, qui ont déniché le moyen de concilier les préceptes de la vertu et les exigences de leur estomac. Dans le cas de la repentie, cette modération était d’autant plus extraordinaire qu’il avait fallu renoncer à tout un luxe de dissipation lucrative, dont certains chiffres connus excitèrent