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l’aridité mélancolique de leurs incommensurables chantiers.

Marchenoir habitait, non loin de ces lapicides, une maison presque isolée et d’aspect assez humble dont il occupait le deuxième étage, n’ayant au-dessus de lui que deux mansardes louées par d’impeccables employés d’omnibus, absents tout le jour et qui n’y dormaient, la nuit, que quelques heures. Il aimait ce quartier et cette maison pour y avoir passé, depuis deux ans, le meilleur de sa vie morale et intellectuelle. Le calme relatif de cette rue le rafraîchissait, au sortir du centre de Paris qui lui faisait l’effet, par comparaison, du plus inhabitable d’entre les puits de l’enfer.

L’appartement, formé de trois pièces et d’une cuisine, était une espèce de gîte d’artiste comme on n’en voit guère. Il eût été fort inutile d’y chercher des faïences, des cuivres, des ferrailles, des tableaux ou des médaillons curieux. Pas un seul bronze japonais, pas une aquarelle impressionniste, pas l’ombre d’un de ces vieux bois écaillés, vermiculés et friables qui représentent de leur mieux, dans des attitudes recueillies, la dévotion craquelée des anciens âges. Le mépris de Marchenoir pour ce bric-à-brac était à peu près sans bornes. En tout, un émail de Limoges du xviie siècle, souvenir de famille, offrant la vision d’un saint Pierre en robe d’azur et manteau couleur d’orange, à genoux dans un paysage fraîchement lessivé, sous de grêles frondaisons en vert d’asperge et brocart d’or, flanqué d’un coq de porcelaine blanche qui chantait dans un coin de firmament du plus impénétrable outremer. À ses pieds, un livre rouge, des clefs de gomme-gutte et une gigantesque bar-