Page:Bloy - Le Désespéré.djvu/261

Cette page a été validée par deux contributeurs.

les eaux limpides d’un lac, au fond duquel s’ouvriraient les yeux ravis d’un plongeur ! J’ai eu comme la sensation confuse, délicieusement indicible, à la fois spirituelle et physique, d’être immergé dans une crique lunaire comblée de mes pleurs… À mon réveil, j’ai tout de suite rencontré le magnifique regard de ma chère sacrifiée qui jubilait de me voir dormir ainsi, et son aspect ne m’a causé ni surprise, ni douleur, mais, au contraire, une sorte d’attendrissement très doux, composé, j’imagine, de pitié fraternelle et d’enthousiasme religieux fondus ensemble en un seul transport intérieur, absolument chaste ! … Te rappelles-tu, Georges, ces mystérieux oiseaux qui nous firent tant rêver, un jour, au jardin d’acclimatation, et qu’on nomme exactement colombes poignardées, à cause de la tache de sang qu’elles portent au milieu de leur gorge blanche ? Nous fûmes très étonnés, tu t’en souviens, de ce pléonasme inouï de symbolisme, en l’exceptionnelle créature qui ne se contente pas de signifier l’Amour et qui s’ingère, par surcroît, d’en afficher le stigmate. Eh bien ! Véronique sera ma colombe blessée, telle que je l’ai vue ce matin, dans la surnaturelle clarté de mon âme renouvelée par la vertu de son sacrifice… Mais voilà que je fais des phrases et tu as, sans doute, beaucoup à me dire. L’as-tu découvert, enfin, ce trafiquant de laitance humaine ?

— Beauvivier ! oui, je le quitte à l’instant, répondit en riant Leverdier. Ce dernier mot me rassure plus que tout le reste, mon cher Caïn. Si tu retrouves ta verve méchante, nous ne sommes pas près de te perdre. Furieux de l’avoir manqué hier et ne me souciant pas de droguer indéfiniment dans sa