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faire des avances à ce cormoran. Il était à craindre, aussi, qu’on ne tendît l’échelle au désespéré que pour l’induire à se rompre définitivement la barre du cou sur quelque échelon pourri. Sans doute, il eût été fort imprudent de chercher à pressentir cet infâme juif sur la vitale question d’argent. Ses pratiques, à cet égard, devaient ressembler à celles de son prédécesseur, le fameux Magnus Conrart, dont le répugnant suicide fit tant de bruit, et qui frappait d’une énorme redevance de prélibation les émoluments des rédacteurs de passage, qu’il savait crevants de faim et réduits à se contenter d’un salaire quelconque.

Mais, à défaut d’une sécurité budgétaire immédiate, il était absolument indispensable d’assurer, au moins, l’indépendance de l’écrivain, Marchenoir n’étant plus du tout le petit jeune homme trop heureux d’acheter l’insertion de son vocable patronymique dans un grand journal, au prix de n’importe quelle charcutière émasculation de sa pensée.


LI


Le lendemain, Marchenoir et Leverdier se retrouvaient, à cinq heures, au café Caron, à l’angle de la rue des Saints-Pères et de la rue de l’Université, en face de l’une des quarante mille succursales du Mont-de-Piété littéraire de Calmann Lévy. C’est un café de vieillards vertueux, qui paraît avoir voulu