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— Votre ami aime à se faire désirer autant qu’une jolie femme. Il se cache comme un ours et tout le monde s’en plaint. J’ai rencontré, cette semaine, Beauvivier qui voudrait le voir. Je crois que son intention est de lui confier l’article de tête du Basile, pour tracasser un peu les imbéciles de l’Univers. Si votre Caïn ne profite pas de l’occasion, il méritera d’errer, comme son homonyme biblique, « sur la face de la terre », car ils ont besoin de lui au Basile. Vous qui êtes un homme pratique, vous devriez lui conseiller de se limer les ongles et l’empêcher de faire des sottises. Beauvivier a daigné me dire qu’il comptait sur moi pour le lui amener. Il paraît croire que je suis dans les petits papiers de ce riverain du Danube. À propos, est-il revenu, seulement, de son voyage édifiant ?

— Oui, affirma rêveusement Leverdier, mais n’allez pas chez lui, je me charge de votre ambassade.

Cette communication lui donnait fort à penser. Il fallait que le tout-puissant Basile, l’universel journal des gens bien élevés, se sentît diablement anémié pour invoquer le réactif d’un tel moxa ! Dans ce cas…

À ce moment, il s’aperçut que le séduisant Alcide avait pris une pose connue. Ayant, au préalable, inspecté, en sifflotant, l’état du ciel et ramené sur ses tempes, du bout des doigts en pincettes de sa main gauche, quelques mèches indisciplinées, il avait finalement abaissé cette main à la hauteur présumée de l’organe des sentiments généreux et la tenait, maintenant, ouverte et dardée contre la poitrine de son adversaire.