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intellectuelle et de tristesse, cette sœur qu’on avait rêvée et que la jolie femme ne pouvait être.

Elle se trouverait ainsi avoir eu raison, au bout du compte, d’accomplir cette chose qui les faisait, à l’heure actuelle, si durement pâlir. Il ne resterait plus, à la fin, de toutes ces émotions déchirantes, qu’un souvenir d’héroïsme sur les ruines inoffensives de cette beauté, que le plus étonnant miracle de charité avait sacrifiée…

Les deux amis étaient silencieux depuis quelques instants. Marchenoir se leva comme un centenaire, tremblant, pâle, chenu, harassé de vivre et, d’une voix suffoquée, déclara que c’était assez de discours, qu’il voyait distinctement tout ce qu’il y avait à voir : la cruauté de son imprudence et l’horrible fruit de remords qu’il en récoltait, mais qu’il était temps d’aller consoler la pauvre fille.

— Elle souffre pour moi, dit-il, et non pour elle. Sa personne, elle n’y tient guère, tu as dû le remarquer. Si la paix m’est rendue, elle jugera que tout est très bien et sa joie sera parfaite. Tu ne sais pas, Georges, la qualité du sublime de cette créature. Ce qu’elle vient de faire pour moi, elle l’aurait fait aussi bien pour toi, j’en suis persuadé, ou pour quelque autre, si elle l’avait cru nécessaire… Mais, le remède sera-t-il efficace ? Voilà la question, c’est ma vie qui en dépend et la réponse n’est pas certaine…

Ils étaient dans la rue. Un fiacre les recueillit et ils descendirent ensemble, sans ajouter une parole, le boulevard Montparnasse. Arrivés à l’avenue du Maine et sur le point d’entrer dans la rue de Vaugirard, où s’embranche la rue des Fourneaux, Leverdier sentit que Marchenoir voulait être seul