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prendre. Si Marchenoir l’eût consulté, il lui eût certainement répondu par le conseil d’épouser, quand même, Véronique, et il eût, de toutes ses forces, travaillé à démontrer à Véronique l’absolue nécessité de devenir la femme de Marchenoir.

Point incroyant, mais boiteux de pratique et nullement organisé pour la vie contemplative, il avait été quelque temps sans croire à la pureté de leurs relations. Il avait fallu les affirmations réitérées de son ami, qu’il savait incapable d’hypocrisie, et l’irrécusable évidence de certains faits, pour le persuader. Dans les derniers mois, il avait bien remarqué l’enthousiasme de Marchenoir pour sa compagne, mais n’ayant pas le diagnostic psychologique du père Athanase, il n’avait pas conclu comme lui à la passion amoureuse, n’y voyant qu’une période nouvelle du commun transport religieux qu’il s’était interdit de juger. La lettre à Véronique avait été pour lui comme un flambeau sans réflecteur, dans un de ces souterrains où les ténèbres, accumulées et tassées depuis longtemps, ne font que reculer plus épaisses, à trois pas de l’insuffisante lumière qu’elles menacent d’étouffer.

Que signifiait, par exemple, cette jalousie rétrospective chez un homme que ses actes et ses paroles jetaient en dehors de toutes les voies communes, et que l’opinion du monde ne pouvait atteindre ? L’acte charnel touchait-il donc à l’essence même de la femme, que la souillure en dût être ineffaçable à jamais ? Sans doute, ce passé était un irréparable mal, mais puisqu’on était si terriblement mordu, fallait-il, après tout, sacrifier sa vie pour des fantômes, et se précipiter en enfer, pour échapper à un