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mais toujours travaillé de dandysme, il avait tout sacrifié, tout galvaudé pour cette ambition. Une heure glorieuse avait pourtant sonné dans sa vie. Il s’était vu directeur d’un journal légitimiste, vers les dernières années du second empire. Mais, précisément, cette élévation l’avait perdu. La grâce d’Israël s’était retirée de lui et il avait fait de sottes affaires. Sa déconfiture, quoique retentissante, avait été trop ridicule pour qu’il s’en relevât jamais. Maintenant, Dieu seul pouvait savoir ses industries !

Mais, en vieillissant, ce petit bellâtre, qu’on rencontrait partout où tintait la ruine, était devenu positivement sinistre. Au milieu d’indicibles tripotages, ce grotesque filou n’abdiquait aucune de ses anciennes prétentions, et on retrouvait toujours en lui le désopilant roublard qui fit offrir, un jour, au comte de Chambord, de se convertir publiquement au catholicisme, si on le faisait marquis. Il avait toujours la même politesse de garçon de bain ou d’huissier de tripot, et le même geste fameux, de tapoter les deux choux-fleurs latéraux qui faisaient encorbellement à son crâne chauve. Il avait surtout le même empressement auprès des femmes, qu’il enrichissait gracieusement de ses conseils ou de ses prophéties, en les dépouillant de leurs bijoux et de leur argent. Car il était fort considéré parmi les filles de la rive gauche, où il était venu s’établir, étant, à la fois, leur banquier, leur courtier, leur marchande à la toilette, leur consolateur et leur oracle, — parfois, aussi, leur médecin, disait-on. Mais cette dernière chose flottait dans un salubre mystère…

— Eh ! comment, c’est vous, chère enfant ! Bon Dieu ! qu’il y a longtemps qu’on ne vous a vue ! On