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le désespéré

Ah ! que le Pauvre est absent de ces réveils d’affranchis, de ces voluptueux entrebâillements d’âmes entretenues, à la chantante arrivée du jour ! Comme il est, — alors, — Cimmérien, télescopique, aboli dans l’ultérieure ténébrosité des espaces, le dolent famélique, le sale et grand Pauvre, ami du Seigneur !

La flûte pensante qu’était Dulaurier vibrait encore des bucoliques mondaines de la veille. L’édredon de Norwège ondulait mollement, à l’entour de son esprit, dans la grisaille lumineuse d’un demi-sommeil. Une jeune oie venue du Cap Nord, épandait sur lui de chastes songes, neige psychologique sur cette flottante imagination glacée…

— Quelle pureté ! quelle âme fine ! murmurait-il en étendant la main vers la lettre. Très pressée, en cas d’absence, faire suivre. C’est l’écriture de Marchenoir. Je le reconnais bien là. Comme s’il y a jamais eu rien de pressé dans la vie !

Il lut, sans aucune émotion visible, les quatre pages de cette écriture, droite et robuste, à la façon des dolmens, dont l’étonnante lisibilité a fait la joie de tant d’imprimeurs. Vers la fin, cependant, une alarme soudaine apparut en lui, accompagnée de gestes de détresse, aussitôt suivis de l’interprétative explosion d’une petite fureur nerveuse.

— Il m’embête, ce misanthrope, s’écria-t-il, en rejetant la prose cruciale de son onéreux ami. Me prend-il pour un millionnaire ? Je gagne ma vie, moi, il peut bien en faire autant ! Eh ! que diable, son père ne sera pas jeté à la voirie, peut-être ! Pourquoi pas les funérailles d’Héphestion à ce vieil imbécile ?