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nairement douce, essuie tes yeux et donne-moi du café… Très bien… Assieds-toi ici, maintenant, et raconte par le menu. Désormais, je peux tout entendre.


XLI


Leverdier chérissait Véronique à sa manière et le plus fraternellement du monde, parce qu’il voyait en elle une chose à Marchenoir. Cet être, si singulièrement organisé pour l’exclusive passion de l’amitié, n’avait jamais eu besoin de combattre pour écarter de lui d’autres sentiments. Celui-là comblait largement sa vie, ayant assez d’ampleur pour s’étendre à des multitudes, si son grand artiste avait pu devenir populaire. Il avait voué une sorte de reconnaissance, exaltée jusqu’au culte, à la simple créature en qui Marchenoir avait trouvé consolation et réconfort. Médiocrement ouvert à cette Mystique sacrée, dont Marie-Joseph avait fait son étude et que Véronique assumait en sa personne, il lui suffisait que ses amis y rencontrassent leur joie ou leur aliment. Il n’en demandait pas davantage, se réjouissant ou s’affligeant sympathiquement, sans toujours comprendre, mais confessant avec candeur l’inaptitude de son esprit.

Depuis deux ans que durait le séraphique concubinage, il s’était fait une compénétration très intime de ces trois âmes, vivant entre elles et séparées du reste du monde. Quoique Leverdier n’habitât pas la