Page:Bloy - Le Désespéré.djvu/194

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Tout à coup, il alla vers lui et lui posant ses deux mains sur les épaules : — Georges, dit-il, il y a quelque chose, je veux le savoir.

Leverdier avait à peu près son âge. C’était un de ces nègres blonds, lavés au safran des étoiles et frottés d’un pastel sang, qui plaisent aux femmes beaucoup plus qu’aux hommes, ordinairement mieux armés contre les surprises de la face humaine. Le trait dominant de sa vibratile physionomie était les yeux, comme chez Marchenoir. Mais, au contraire de ces clairs miroirs d’extase, allumables seulement au foyer de quelque émotion profonde, les siens étaient perpétuellement dardants et perscrutateurs, comme ceux d’un pygargue en chasse ou d’un loup-cervier. Nul éclair de férocité, pourtant. De toute cette figure transsudait, au contraire, une bonté joyeuse et active, dont l’expression valait un miracle, et l’intensité même de son regard était un simple effet de la merveilleuse attention de son cœur. À peine une vague ironie relevait-elle, parfois, la commissure et remontait plisser le coin de l’œil droit. Visiblement, la palette de cette âme était au grand complet, à l’exception d’une seule couleur, le noir, dont un déluge de ténèbres n’aurait pu réparer l’absence. Cet homme avait évidemment reçu pour vocation d’être le grand public consolateur, à lui tout seul, et pour l’unique virtuose qui pût se passer d’applaudissements vulgaires.

Le contraste était saisissant quand on les voyait ensemble, chacun d’eux paraissant avoir précisément tout ce qui manquait à l’autre. De taille moyenne tous deux, Marchenoir offrait l’aspect d’un molosse dont l’approche était à faire trembler, mais