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Vainement, il se proposa d’être tout fort, de pratiquer l’héroïsme le plus sublime, quelque mal qui pût arriver. Rien ne pouvait contre les pressentiments affreux qui le torturaient. Il se dit qu’il aurait peut-être mieux fait de voyager en seconde classe. Il aurait eu moins froid, et le froid lui châtrait le cœur, il l’avait souvent éprouvé… Enfin, il avait fait ce qu’il avait pu, Dieu ferait le reste… Il n’avait pas averti ses deux fidèles de l’heure de son arrivée. Il était trop sûr qu’ils auraient passé la nuit pour venir l’attendre à la gare. Il sentit un soulagement à la pensée qu’il allait avoir Paris à traverser avant de les revoir, et que ce délai, cette prise d’un air nouveau, dissiperait, sans doute, son irraisonnée inquiétude. C’était sa lettre à Véronique qui le poignardait. Il se jugeait atroce et insensé pour l’avoir écrite. Et, cependant, qu’aurait-il pu faire ou ne pas faire, sans être, à ses propres yeux, un pire insensé ou un véritable traître ?

— Je suis un sot, tout ce qui arrive est pour le mieux, finit par conclure cet étonnant optimiste ; Dieu permet de sa main gauche ou il ordonne de sa main droite et tout s’accomplit dans l’ellipse à deux foyers de sa Providence !


XL


Marchenoir sortit de la gare de Paris, au point du jour, son léger bagage à la main. Il avait besoin de marcher, de se piétiner lui-même sur les pavés et le