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le désespéré

vin du faubourg Montmartre, à huit heures, aucun employé de commerce ne l’ignorait plus. Le squameux chroniqueur nocturne laissait entendre, avec la pudique diaphanéité congruente à ce genre d’information, que la présence d’une jeune norwégienne des fiords lointains, à la gorge liliale et à la virginité ductile, avait été pour quelque chose dans l’éréthisme d’improvisation de l’irrésistible ténor léger de « nos derniers salons littéraires ».

En conséquence, il se réconfortait d’un peu de sommeil, après cette lyrique dilapidation de son fluide.

— Est-ce vous, François ? dit-il d’une voix languissante, en s’éveillant au faible bruit de la porte de sa chambre à coucher que le domestique entr’ouvrait avec précaution.

— Oui, Monsieur, c’est une lettre très pressée pour Monsieur.

— C’est bien, posez-la ici. Ouvrez les rideaux et apportez du feu. Je vais me lever dans un instant… Il me semble que j’ai beaucoup dormi, quelle heure est-il donc ?

— Monsieur, la demie de huit heures venait de sonner, quand le facteur est arrivé.

Dulaurier referma les yeux et, dans la tiédeur du lit, au grondement d’un excellent feu, s’immergea dans l’exquise ignavie matutinale de ces colons de l’heureuse rive du monde, pour qui la journée qui monte est toujours sans menaces, sans abjection de comptoir ni servitude de bureau, sans la trépidation des coliques de l’échéance et le dissolvant effroi du créancier, sans tout le cauchemar des plafonnantes terreurs de l’expédient éternel !