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Alors, Marchenoir se jeta au souvenir de sa Véronique comme à un autel de refuge. Il voulut s’hypnotiser sur cette pensée unique. Il commanda à la chère figure de lui apparaître et de le fortifier. Mais il la vit si douloureuse et si pâle que le secours qu’il en attendait, ne fut, en réalité, qu’une mutation de son angoisse. Les faits imperceptibles de leur vie commune, immenses pour lui seul, et qui avaient été son pressentiment du ciel ; les causeries très pures de leurs veillées, quand il versait dans cette âme simple le meilleur de son esprit ; les longues prières qu’on faisait ensemble, devant une image éclairée d’un naïf lampion de sanctuaire, et qui se prolongeaient encore pour elle, bien longtemps après que, retiré dans sa chambre, il s’était endormi saturé de joie ; enfin, les singuliers pèlerinages dans des églises ignorées de la banlieue : toute cette fleur charmante de son vrai printemps, lui semblait, cette nuit-là, décolorée, sans parfum, livide et meurtrie, ayant l’air de flotter sur une vasque de ténèbres…

Il se rappelait, surtout, un voyage à Saint-Denis, dans l’octobre dernier, par une journée délicieuse. Après une assez longue station devant les reliques de l’apôtre, dont Marchenoir avait raconté l’histoire, on était descendu dans la crypte aux tombeaux vides des princes de France. La majesté leur avait paru sonner fort creux dans cette cave éventée des meilleurs crûs de la Mort, et les épitaphes de ces absents jugés depuis des siècles, dont les chiens de la Révolution avaient mangé la poussière, ils les avaient lues sans émotion comme le texte inanimé de quelque registre du néant. L’émotion était venue, pourtant, comme un aigle, et les avait grillées, tous deux, ces