Page:Bloy - Le Désespéré.djvu/184

Cette page a été validée par deux contributeurs.

moi, je le convoite avec des concupiscence de feu, j’en suis affamé, assoiffé, je ne peux plus attendre et mon cœur se brise, à la fin, quelque dur qu’on le suppose, quand l’évidence de la détresse universelle a trop éclaté, par-dessus ma propre détresse !… Ô mon Dieu Sauveur, ayez pitié de moi !

La voix du lamentateur qui sonnait, depuis quelques minutes, comme un buccin, dans cette demeure pacifique inaccoutumée à de tels cris, s’éteignit dans une averse de pleurs. Le père Athanase, beaucoup plus ému qu’il n’aurait voulu le paraître, lui posa la main sur la tête et, le contraignant à s’agenouiller, prononça sur lui cette efficace bénédiction sacerdotale qui tient de l’absolution et de l’exorcisme.

— Allez, mon cher enfant, lui dit-il ensuite, et que la paix de Dieu vous accompagne. Peut-être avez-vous été destiné pour quelque grande chose. Je l’ignore. Vous êtes tellement jeté en dehors des voies communes qu’une extrême réserve s’impose naturellement à moi et paralyse jusqu’à l’expression de mes craintes. Les prières des Chartreux vous sont acquises et vous suivront comme à l’échafaud, considérant, au pis-aller, que vous êtes en danger de mort. C’est tout vous dire. Allez donc en paix, cher malheureux, et souvenez-vous que toutes les portes de la terre se fermassent-elles contre vous avec des malédictions, il en est une, grande ouverte, au seuil de laquelle vous nous trouverez toujours, les bras tendus pour vous recevoir…


XXXIX


Le voyage du retour parut interminable à Marche-