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ne vous ressaisira pas tout de suite et je me persuade qu’un peu plus tard, Dieu vous enverra quelque autre assistance. Il n’est pas permis de croire que ce bon Maître vous ait comblé des dons les plus rares, uniquement pour vous faire souffrir. D’ailleurs, l’Église militante a besoin d’écrivains de votre sorte et vous surmonterez, à la fin, tous les obstacles, par la seule virtualité du talent, je veux l’espérer…

Mais, j’ai d’autres sujets de trembler et c’est justement l’excès de votre force qui m’épouvante, ajouta-t-il, avec un sourire mélancolique, en lui touchant du doigt le front et la poitrine. C’est ici et là que se trouvent vos plus redoutables persécuteurs. J’ai beaucoup pensé à vous, mon cher ami. C’est un mystère de douleur qu’un homme tel que vous ait pu naître au dix-neuvième siècle. Vous auriez fait un Ligueur, un Croisé, un Martyr. Vous avez l’âme d’un de ces anciens apologistes de la Foi, qui trouvaient le moyen de catéchiser les vierges et les bourreaux jusque sous la dent des bêtes. Aujourd’hui, vous êtes livré à la gencive des lâches et des médiocres, et je comprends que cela vous paraisse un intolérable supplice. Vous avez passé quarante ans et vous n’avez pas encore pu vous acclimater ni même vous orienter dans la société moderne. Ceci est terrible…

Je ne vous accuse, ni ne vous juge, pauvre ami. Je vous plains de toute mon âme. Rendez-moi justice. Je ne vous reproche pas de n’avoir pas su vous faire une position. Je ne suis pas un de ces bourgeois dont le nom seul vous noircit la rétine. Je suis un chartreux, simplement, et je crois que la meilleure position est de faire la volonté de Dieu, quelle