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— Mon cher enfant, répondit celui-ci, je veux faire quelque chose de plus, si vous le permettez. Je sais de votre vie et de vos souffrances ce que votre ami, M. Leverdier, m’en a écrit et ce que le Père Athanase a cru pouvoir m’en confier, et je m’intéresse profondément à vous. Vous avez entrepris un livre pour la gloire de Dieu et vous êtes pauvre,… deux fois pauvre, puisque vous renoncez à la gloire que donnent les hommes… Emportez, je vous prie, de la Chartreuse, ce faible secours que votre âme chrétienne peut accepter sans honte, — ajouta-t-il, en lui tendant un billet de mille francs, — et souvenez-vous, dans vos combats, du vieux serviteur inutile, mais plein de tendresse, qui priera pour vous.

Le malheureux, brisé d’émotion, tomba à genoux et reçut la bénédiction de ce chef des plus grandes âmes qui soient au monde. Le Général le releva et, l’ayant serré dans ses bras, le reconduisit jusqu’à sa porte en l’exhortant aux viriles vertus que la société chrétienne paraît avoir prises en haine, mais dont la tradition persévère, en dépit de tout, dans ces solitudes, — sans lesquelles, à ce qu’il semble, le ciel fatigué de voûter, depuis tant de siècles, sur une si dégoûtante race, tomberait, de bon cœur, pour l’anéantir.

Le père Athanase l’attendait avec anxiété. Il avait parlé chaleureusement, mais les intentions de son supérieur ne lui étaient pas connues. Le bon religieux fut transporté de la joie naïve de son ami, que cet argent délivrait d’angoisses hideuses, surajoutées à ses plus intimes tourments.

— Je vous vois partir sans trop d’inquiétudes, lui dit-il. Du moins, je suis assuré que la misère noire