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ma faiblesse, je vous entraînerai dans une caverne de désespoir.

« Vous me l’avez fait comprendre vous-même, il y a longtemps. Que vous devinssiez ma femme ou ma maîtresse, l’abomination serait également infinie. Je retrouverais dans votre lit et dans vos bras tout votre passé, et ce passé, délié de l’abîme où l’a précipité votre pénitence, m’arracherait de vous, morceau par morceau, avec des tenailles rougies, pour s’installer à ma place. Notre amour serait un opprobre et nos voluptés un vomissement. Nous aurions tout perdu de ce qui nous honore et tout retrouvé de ce qui peut nous avilir davantage. À la place de ce canton lumineux du ciel où nous planons en souffrant, nous serions accroupis au bord d’un chemin public, dans une encognure infecte, où les plus immondes animaux auraient la permission de nous salir au passage…

« Il faut donc m’exorciser, ma très chère, je ne sais comment, mais il le faut tout de suite, sous peine d’enfer et de mort. Voilà tout. Mon esprit est plein de ténèbres et je ne saurais vous offrir l’ombre d’une idée qui ressemblât à une apparence de salutaire expédient. Ah ! mon amie, ma trois fois aimée, ma belle Véronique du chemin de la Croix ! combien je souffre ! mon cœur se brise et je pleure, comme je vous ai vue, tant de fois, pleurer vous-même, agenouillée, des journées entières, devant votre grand crucifix ! Seulement, vos larmes étaient infiniment douces et les miennes sont infiniment amères.

« Votre Marie-Joseph. »