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avait l’honneur de les tenir vivants sous ses sales pieds.

Deux choses, à peine, paraissaient à Marchenoir mériter qu’on surmontât la nausée de cette abominable contemplation : l’indéfectible prééminence de la Papauté et l’inaliénable suzeraineté de la France. Rien n’avait pu prévaloir contre ces deux privilèges. Ni l’hostilité des temps, ni le négoce des Judas, ni la surpassante indignité de certains titulaires, ni les révolutions, ni les défaites, ni les reniements, ni les inconscientes profanations de la sacrilège bêtise !…

Quand l’une ou l’autre avait menacé de s’éteindre, le monde avait paru en Interdit. La Bulle Unam Sanctam, de Boniface VIII, la fameuse bulle des Deux Glaives, n’avait plus de croyants, il est vrai, et la France était gouvernée par des goujats… N’importe ! quelques âmes savaient qu’il existe, en leur faveur, une prescription contre toutes les poursuites revendicatoires du néant, et Marchenoir était une unité dans le petit nombre de ces âmes malheureuses, charriées sur un glaçon fondant, au milieu d’un océan de tiédeur, vers un tropique d’imbécillité !

Mais, avant de sombrer, ce millénaire voulait assigner les Temps modernes, les plus iniques temps et les plus bêtes qui furent jamais, devant un Juge dont il pressentait la prochaine Venue, quoiqu’il ait l’air de dormir profondément depuis tant de siècles, et qu’il espérait, à force de clameurs désespérées, faire, une bonne fois, crouler de son ciel ! Ces clameurs, il les avait ramassées de partout, accumulées, amalgamées, coagulées en lui. Écolier sublime de ses propres tortures, il avait syncrétisé, en une