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des forts, sur tous les continent où les enfants de Nemrod avaient étendu leur nappe, et le Pauvre, dont c’est l’étonnant destin de représenter Dieu même, le Pauvre toujours vaincu, bafoué, souffleté, violé, maudit, coupé en morceaux, mais ne mourant pas, — roulé du pied, sous la table, comme une ordure, d’Asie en Afrique et de l’Europe sur le monde entier, — sans qu’une seule heure lui fût accordée pour se désaltérer à ses propres larmes et pour râcler les croûtes de son sang ! Cela, pour toute la durée des sociétés antiques, sculptées en formidable raccourci dans la gouliafrée du roi Baltasar.

Puis, l’avènement du parfait Pauvre, en qui se résumèrent les abominations les plus exquises de la misère et qui fut Lui-même le Baltasar d’un festin de tortures, où furent conviées toutes les puissances de souffrir. Rédemption à faire trembler qui transfigura la poétique de l’homme sans rénover son cœur, en dérision de ce qui avait été annoncé.

Un second registre de formules fut simplement ouvert, et la grande liesse des boucs et des vautours recommença. Dans les contrées immenses inexplorées par le christianisme, la cuisine des pasteurs de peuples ne changea pas, mais, dans la chrétienté, le pauvre fut quelquefois invité, charitablement, à se repaître des déjections de la puissance, dont il était, lui-même, l’aliment. Le fardeau des faibles, désormais aggravé de spiritualisme, fit craquer les os des neuf dixièmes de l’humanité.

Comme si l’apparition de la Croix avait affolé les nations, l’univers se confondit dans une prodigieuse bousculade. Sur l’Empire romain tordu par la colique, goutteux des pieds, avarié du cœur, et devenu chauve