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L’esprit de l’homme planant, — comme autrefois celui du Seigneur, — sur cet inexprimable désordre, avait dit : — Il n’y en a pas encore assez comme cela ! et il avait commandé que les ténèbres fussent, c’est-à-dire que la suie du passé, délayée dans l’encre de nos imprimeurs, devînt indélébile et croûtonnante sur la mosaïque providentielle. On en était venu à tellement effacer les rudimentaires concepts, que les faits les plus énormes, les plus crevant l’œil, désormais orphelins de leurs principes et veufs de leurs conséquences, retranchés de l’orbite, excommuniés de tout ensemble, acéphales et eunuques, n’existaient plus dans les cervelles qu’à l’état fantastique de postérité du hasard. Et cette ignorance de toute loi était particulièrement attestée, en ce siècle, par la grandissante rage de philosopher sur l’histoire. Obscur témoignage d’une conscience irrémédiablement taillée en pièces et tressaillant, une dernière fois, sous le hachoir des charcutiers de l’intelligence !

Pour commencer, Marchenoir demandait le divorce du Hasard et de la Liberté, absurdement unis sous le régime de l’étripement réciproque. Il jugeait monstrueux cet accouplement qui avait paru l’unique ressource de la Raison moderne, affligée du célibat de sa très chère fille, universellement décriée pour son incontinence et le malpropre choix de ses concubins. C’était une imposture par trop forte de prétendre que quelque chose de réel fût jamais sorti d’une faculté, déjà si précaire, prostituée à ce bâtard du néant, et il ambitionnait, — alors que les sociétés agonisantes mettent leurs enfants en gage pour obtenir, en payant, qu’on les achève elles-mêmes, —