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le désespéré

Les trois Concupiscences, comme des fileuses infatigables, avaient fourni l’écheveau, et les sept Péchés l’avaient dévidé, ventre à terre, dans tous les sens, autour de toutes les générations, à travers l’inextricable tourbillon des épisodes. L’Amour, la Mort, la Douleur, l’Oubli, avaient mis en commun leurs paraboles pour un éternel négoce d’errata, où chacun d’eux tirait à lui toutes les ténèbres.

De temps en temps, un excellent historien se présentait pour contrôler les balances et sa tête gélatineuse se liquéfiait dans les plateaux. L’Hypothèse disait à la Conjecture : Nous allons nous amuser ! et elles se faisaient caresser, l’une et l’autre, par un vieux Mensonge tout nu, sur le souple divan de la Critique. L’étonnante route de l’histoire était tout en carrefours, avec des poteaux en girouette, où des dates, peu certaines, indiquaient, dans la direction de quelques événements carrossables, de tout petits sentiers inexistants, pour aboutir à d’impossibles vérifications. L’érudition frétait des bibliothèques alexandrines pour le ravitaillement d’innombrables rongeurs à lunettes, dont l’office était de picorer des fétus dans l’énorme amas de crottin documentaire fienté par de plus grands animaux, en s’interdisant religieusement jusqu’à la velléité d’une conclusion. Si, d’aventure, l’un d’entre eux s’en avisait, c’était sous l’expresse condition d’insulter à quelque grande chose, en chatouillant de sa plume le dessous des pieds de la sainte Canaille, enfin victorieuse et potentate rémunératrice des flagorneurs qu’elle a décrottée. Dieu sait, alors, les jolis travaux qui s’exécutaient et l’abjecte clairvoyance de ces calomniateurs d’ancêtres !