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plaudissements et je n’en ai jamais cherché, mais encore faut-il que je sois intelligible, que je ne terrifie pas tous les éditeurs sans exception, que je sois débitable au moins autant qu’un amer nouvellement importé, sur le zinc en cœur de chêne de leurs comptoirs. La métaphysique religieuse n’est plus admissible, aujourd’hui, qu’à la condition d’être apéritive et de précéder un régal d’ordures. « Vous écrivez pour des hommes et non pas pour des esprits angéliques, » me disait ce père. Dois-je essayer de me remplir de la prose de cet avis ? Hélas ! j’y gagnerais peut-être un morceau de pain !

L’irréfréné Marchenoir sentait, néanmoins, qu’il se flattait d’une humilité impossible. Dégager de l’histoire universelle un ensemble symbolique, c’est-à-dire prouver que l’histoire signifie quelque chose, qu’elle a son architecture et qu’elle se développe avec docilité sur les antérieures données d’un plan infaillible, c’était une opération qui exigeait l’holocauste préalable du Libre Arbitre, tel, du moins, que la raison moderne peut le concevoir. Il n’y avait pas à sortir de là. Il était condamné à l’incertaine expérience de gifler son siècle pour obtenir d’en être écouté et, justement, l’énormité d’un pareil défi avait pour lui le ragoût d’une tentation de volupté. Sa nature de condottière l’emporta bientôt et il finit par se fixer à la plus imprudente des résolutions, s’interdisant jusqu’à la ressource d’appliquer, après coup et sous forme d’introduction, à son futur livre, les lâches émollients d’une apologie. Peut-être, aussi, avait-il raison de compter sur l’exaspération même de sa pensée et de sa forme, sur l’excès inouï d’audace, où il prévoyait bien que son sujet allait l’en-