Page:Bloy - Le Désespéré.djvu/154

Cette page a été validée par deux contributeurs.

œuvre d’art eût abondamment suffi. Bref, ce crevant de misère fut absolument privé de tout moyen d’informer le public de l’existence de son livre et les sages conclurent, comme toujours, du néant de la réclame au néant de l’œuvre.

Le fait est que pour des haïsseurs aussi résolus de la beauté littéraire, Marchenoir était une occasion peu commune. C’était un lépreux de magnificence. Toutes les maladies dégoûtantes ou monstrueuses qui peuvent justifier, analogiquement, l’horreur des chrétiens actuels pour un malheureux artiste : la gale, la teigne, la syphilis, le lupus, la plique, le pian, l’éléphantiasis, il les accumulait, à leurs yeux, dans sa forme d’écrivain.

Ce fut surtout dans son second livre, Les Impuissants, que cette flore éclata. Le scandale fut si grand qu’il lui valut un demi-succès. L’auteur commençait à être connu et l’apparition de ce recueil satirique, déjà publié en articles hebdomadaires, dans un petit journal où ils avaient été fort remarqués, démasqua, d’un coup, le polémiste formidable, caché jusqu’alors, pour beaucoup de gens, sous le contemplatif dédaigné, et qu’une dévorante soif de justice contraignait enfin à sortir. Il y eut une petite clameur de huit jours et tel fut le quartier de gloire que Paris voulut bien jeter à cet artiste qui s’exterminait depuis des années. Mais ce livre fut une révélation pour Marchenoir lui-même, qui ne se connaissait pas cette sonorité de gong quand l’indignation le faisait vibrer.

Par l’effet d’une loi spirituelle bien déconcertante, il se trouva que la forme littéraire de cet enthousiaste était surtout consanguine de celle de Rabelais. Ce