Page:Bloy - Le Désespéré.djvu/149

Cette page a été validée par deux contributeurs.

pérer que les anges invisibles planeront sur l’étroite fosse où on les enterre sans cercueil !


XXXIII


Marchenoir sentit bientôt la nécessité de travailler. Il n’était pas homme à rester longtemps vautré sur une pensée de douleur, quelque atrocement exquise qu’elle lui parût. Il méprisait les Sardanapales et leurs bûchers, et il se serait défendu, avec des moignons pleuvant le sang, jusque sur l’arête la plus coupante du dernier mur de son palais de cristal. Combinaison surprenante du rêveur et de l’homme d’action, on l’avait toujours vu bondir du fond de ses accablements et il se déchirait, lui-même, du fumier de ses dégoûts, aussitôt qu’il commençait à se sentir bon à paître.

Les deux seuls livres qu’il eût encore publiés : une Vie de sainte Radegonde et un volume de critique intitulé Les Impuissants, il les avait écrits sur un pal rougi au feu, en plein milieu du radeau de la Méduse, sans espérance de rencontrer un éditeur qui le recueillît, avec la crainte continuelle de devenir enragé.

Le premier et le plus important de ces deux ouvrages avait été, sans comparaison, le plus immense insuccès de l’époque. Pavoisée du catholicisme le plus écarlate, cette éloquente restitution de la société mérovingienne s’était vue, dès son apparition, enve-