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tines, eschauffant leurs corps de ce qui a embrasé leurs esprits. »

Ce qui toucha le plus Marchenoir, ce fut la vue d’une de ces nombreuses cellules, exactement identiques, où le chartreux, encore plus solitaire que cénobite, passe la plus grande partie de sa vie. Il se recueillit quelques instants comme il put, dans cette encoignure de paix, dans cette solitude au milieu de la solitude, et enjoignit, par un geste, à son conducteur, de s’abstenir de toute description, — considérant sans doute l’inanité parfaite de tout langage, en présence de ce dépouillement idéal et intérieur, qui ne peut être senti que dans le fond de l’âme, non d’un curieux ou d’un lettré, mais d’un chrétien sans détours que le Seigneur Jésus incline doucement à ses adorables pieds.

Pour les étalons errants d’une Fantaisie toujours attelée, cette uniformité est toute pleine d’ennui et doit paraître une platitude que, par condescendance, ils voudront bien appeler divine. Il n’y a pas lieu d’espérer qu’ils en puissent être autrement édifiés. Mais Marchenoir y découvrait, au contraire, une source clarifiée de poésie, infiniment supérieure à la noire incantation de ses désespoirs. Par-dessous cette Règle si dure en apparence et si froide, par derrière cet isolateur infranchissable, éclataient, pour lui, les magnificences de la vie cachée en Dieu. Vie perpétuellement transportée, d’une joie surabondante, d’une ivresse céleste, d’une paix inexprimable, d’une variété infinie !

Ces affranchis reçoivent à plein cœur, dans le silence de toutes les affections terrestres, la plénitude de grâces correspondante à la plénitude de leur